Comment les vignerons s'adaptent à la crise et ses conséquences ? 

Des ventes en difficulté dans de nombreuses régions, dont la Champagne qui estime ses pertes financières à près d'un tiers de son chiffre d'affaires annuel. Des conditions d'exploitation défavorables avec une main d'oeuvre rare et des rendements autorisés en chute libre. Des habitudes de consommation et de distribution chamboulées par un contexte inédit. C'est un fait, avec la crise du coronavirus, le monde du vin a été totalement bousculé. Cette période est fortement déroutante pour les vignerons et le millésime 2020, si prometteur dans les vignes, devient un véritable casse-tête logistique. 

 

Une production de vin, mise à mal. 

Les difficultés commerciales de ces derniers mois sont à l'origine d'un sur-stock de bouteilles, particulièrement problématique à l'approche des vendanges 2020.

 

Déjà pénalisées par les taxes imposées par les Etats-Unis, les exportations ont connu un ralentissement important avec la fermeture des frontières à partir de fin mars. 

Les stocks des millésimes précédents peinent à se vendre. La fermeture des bars et restaurants a induit une baisse de la consommation des vins de saisons, notamment le rosé produit dans le Languedoc, en Provence, ou encore les vins blancs d’Alsace qui se sont vendus plus difficilement.

Les caves sont pleines mais la vendange 2020 arrive bientôt. Une question se pose alors : où stocker la récolte à venir ?

C'est ce qui inquiète fortement cette productrice de vin du Languedoc, interviewée par France 3. Plus de la moitié de sa récolte de vin de Pays-d'Oc occupe encore sa cave. La vigneronne envisage donc d'en envoyer en distillerie. "J'ai deux possibilités : soit j'utilise le processus de distillation, sachant que je perds en moyenne 10 à 15 euros par hectolitre avec ce processus, soit j'investis dans de nouvelles cuves pour pouvoir faire rentrer la nouvelle récolte". 

De même, Marion Borès, viticultrice en Alsace explique dans le New-York Times qu’elle se voit obligée de distiller près de 19000 litres de vins pour pouvoir accueillir la vendange de 2020. 

Devant cette contrainte de stockage, les viticulteurs se retrouvent, en effet, avec deux possibilités : liquider leurs stocks à prix dérisoire en vendant leur vin pour qu’il soit transformé en gel hydroalcoolique ou augmenter la capacité de stockage de leurs cuveries (ce qui représente un investissement sur le long terme, tributaire des prochaines récoltes)

Pour tenter d'alléger ce dilemme, l’Europe est venue en aide au secteur du vin en proposant aux viticulteurs une subvention à la distillation. En France, le vin est racheté entre 65 ct d’euros le litre pour un vin sans appellation, et jusqu'à 80 ct pour un vin d'appellation contrôlée. Résultat, ce n’est pas moins de deux millions d’hectolitres de vins français qui ont été ainsi distillés dans le but de n’en garder que l'alcool pour ensuite être utilisé dans des produits de désinfection (gel hydroalcoolique et désinfectant). 

 

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Crédit Photo : BNIA

 

Des répercussions sont à attendre sur les rendements autorisés : un sujet brûlant entre viticulteurs, coopérateurs et négociants.

 

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Mobilisation des vignerons à Colmar, le 25 juin 2020 - Crédit photo : Grégory Fraize pour France Télévisions

 

Pour faire face aux difficultés d’écoulement des stocks et éviter une baisse dommageable des prix de vente, les comités régionaux viticoles régissant le marché, oeuvrent en faveur d’une baisse record des rendements autorisés. Une décision difficile à accepter pour beaucoup de vignerons, surtout quand on sait que la récolte 2020 s’annonce exceptionnelle. 

C'est un sujet épineux en Champagne. La région qui portait déjà un excédent commercial de 400 millions de bouteilles, se retrouve suite à la crise du coronavirus avec 100 millions de bouteilles non vendues supplémentaires. Les pertes financières estimées avoisineraient 1,7 milliard d’euros soit plus d’un tiers du chiffre d’affaires de 2019 (5,05 milliards d’euros). Pour préserver l’image du Champagne en évitant un effondrement de prix, la baisse du rendement autorisé semble s'imposer. En 2019, le rendement autorisé par le Comité Champagne s’élevait à pas moins de 10 200 kg de raisins par hectare. En 2020, selon les estimations, on serait à seulement 7000 kg par hectare.  Les débats font rage opposant grandes Maisons de Champagne et viticulteurs indépendants mais la décision finale du Comité ne sera rendue publique que le 18 Août après plusieurs séances levées sans qu'aucune décision n'ait été prise. Ce long délai complique encore plus la situation car les viticulteurs embauchent leurs équipes de vendangeurs en fonction des rendements autorisés. Pour ne rien arranger, la récolte prévoit d’être abondante, et les règles de l'appellation interdisent de laisser des raisins “pourrir sur pied” : les vendanges 2020 s’annoncent donc complexes.

Comme en Champagne, les instances régissant le vignoble d’Alsace comme l’Association des viticulteurs d’Alsace (AVA) soutiennent une baisse des rendements autorisés pour résoudre le problème du sur-stock et éviter un effondrement du prix des raisins. Ils militent pour une baisse de 80 à 60 hectolitres par hectare : la plupart des producteurs (coopérateurs, apporteurs et vignerons manipulants) rejettent fermement cette possibilité et refusent de passer en dessous de 70 hectolitres par hectare. La mobilisation est sans précédent avec des manifestations qui ont rassemblé près de 500 vignerons à Colmar. Ce 16 juillet 2020, le premier vote de l’Assemblée Générale de l'AVA s’est exprimé en faveur des 70 hl/ha défendus par les vendeurs de raisins et les coopérateurs. Cependant, le comité régional s'y est opposé dès le lendemain. Prochaine assemblée générale le 18 août : affaire à suivre donc...

 

Les vendanges 2020 s'annoncent extrêmement complexes du fait de la situation sanitaire et logistique.

 

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Vendanges au Domaine Barolet-Pernot - Crédit Photo Cuvée Privée

 

Pendant que le monde se confinait, la nature n’a pas attendu : la vigne a continué de grandir et les travaux en vert se sont poursuivis avec un besoin en main d’oeuvre toujours constant. Et difficile de gérer cette main d’oeuvre en période de crise sanitaire… En effet, comme dans les bureaux et les lieux publics, les gestes barrières sont obligatoires dans les vignes. 

La question du recrutement et de la gestion main d'oeuvre est d'autant plus cruciale aujourd'hui : le compte à rebours avant les vendanges a commencé. Or, certaines appellations ont, dans leur cahier des charges, l’obligation de vendanger à la main. Suite à la fermeture des frontières, les travailleurs Espagnol, Bulgare ou encore Polonais qui sont traditionnellement nombreux dans les vignes durant les vendanges, ne pourront pas - ou peu - venir en France prêter main forte aux vignerons, cette année. Heureusement, grâce à la précocité des récoltes, les étudiants et la main d’oeuvre locale se tiennent prêts pour venir travailler durant la période estivale.

Plusieurs questions restent encore en suspens. En vue de la situation inédite, la vendange mécanique va-t-elle être autorisée ? Comment les risques sanitaires vont-ils être gérés ? Les premières mesures ont été annoncées : le casse-croûte traditionnel des vignerons durant les vendanges est par exemple interdit ! Par ailleurs, loger les vendangeurs est un réel casse-tête pour les vignerons avec la fermeture d’un grand nombre de lieux d’hébergement. 

Cette période de chamboulement général pour le monde du vin, induit ses premières conséquences sur le marché des transactions foncières viticoles, pourtant très dynamique en 2019. Certaines régions connaissent ainsi déjà une baisse du prix à l’hectare, notamment la Champagne avec une baisse de 2% ou encore Bordeaux avec une baisse de 9%.

L’impact de la crise sanitaire que nous vivons sur le marché viticole est donc très important. Au-delà de la sphère de la production, le Covid-19 a fait évoluer les habitudes de distribution et de consommation. Une consommation de proximité qui a profité aux cavistes, aux sites de e-commerce, aux supermarchés et à certains vignerons qui ont su s'adapter, s’est instaurée en dépit de la consommation traditionnelle dans les bars, hôtels et restaurants. 

 

La distribution et la consommation de vin, chamboulées.

En France, une mutation des habitudes d'achat et de consommation s'est opérée, obligeant tous les acteurs de la chaîne à s’adapter.

 

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Crédit Photo - Olivier Douliery pour l'AFP

 

La consommation de vin étant considérablement ancrée dans la tradition française, l’État a classé les cavistes comme magasins de première nécessité. La décision peut faire sourire mais elle a permis aux amateurs de vins de continuer de consommer -bien que différemment- et aux cavistes de réinventer leur commercialisation. Durant le confinement, les Français n’ont, en effet, pas cessé de boire du vin, bien au contraire. Cependant, ils ont modifié leurs habitude de consommation comme on l'a vu avec le boom des Live-Apéro qui leur ont permis de continuer à consommer du vin malgré l’isolement social, vécu par beaucoup de Français. D'après une étude Ifop, 42% des Français ont même plus pris d’apéros qu'en temps normal. 

Beaucoup de cavistes ont ainsi vu leur chiffre d’affaires augmenter. C'est le cas d'Eric Reppert, caviste à Ambazac interviewé par France 3 Région dont la cave a été mentionnée dans un article du Monde durant le confinement. “C’était juste avant le week-end de Pâques. Les retombées ont été incroyables. Je suis passé de 500 bouteilles par jour habituellement, à 2 000. On a quadruplé les ventes !” 


Les cavistes ont su adapter leurs modes de vente en privilégiant notamment la vente à emporter sans contact. Certains ont même mis en place la vente en Drive, habituellement réservée au fast-food : les clients pouvaient commander en ligne et une heure plus tard, aller chercher leur commande sur le parking du magasin.


 

Victimes collatérales de la crise sanitaire, les dégustations professionnelles à commencer par les “Primeurs” 2019 de Bordeaux, ont su s’adapter au contexte particulier.

 

Hopwine par Vinovae

Échantillons conditionnés par Vinovae et envoyés aux dégustateurs participants du Salon Virtuel "Hopwine"

 

Traditionnellement prévue chaque année en juin à Bordeaux et rassemblant plus de 7000 personnes dont 3000 étrangers, la dégustation des vins en primeur de cette région a pu avoir lieu malgré la crise du Coronavirus. Pour l’édition 2020, les négociants ont été inventifs et ont fait appel à des sociétés spécialisées dans le conditionnement de vin en petit format tel que Vinovae, afin que les professionnels et journalistes du secteur puissent déguster les vins sous forme d’échantillons directement depuis leur salon

Conséquence directe de la crise du Covid-19 (et plus indirecte du Bordeaux Bashing qui sévit depuis un certain nombre d’années), les Primeurs 2019 ont été marquées par une baisse importante des prix, initiée par certains Châteaux. Une baisse en moyenne de 19%, mais pouvant aller jusqu’à -31% pour le renommé Château Pontet-Canet qui a sorti son millésime (le premier en bio !) à un prix de 58€ au lieu de 84€ l’année précédente. Une stratégie gagnante puisque le Château a réussi à vendre la totalité de sa production en moins de 3 heures.

La dégustation de vin par les professionnels s'est adaptée rapidement avec des dégustations en ligne organisées avec les oenologues et clients du monde entier. Ce nouveau mode de dégustation qui pourrait s'imposer au delà de la crise sanitaire dérange d'ailleurs certains : il viendrait à l’encontre de ce moment, habituellement sacralisé via un échange physique entre acheteurs et producteurs. Christophe Thomas, Directeur des exportations de la Maison Joseph Drouhin à Beaune, ne l’apprécie guère : “On ne peut pas créer la relation avec nos clients comme lorsque nous dînons ensemble, nous ne pouvons pas contrôler la qualité des vins et ni les accorder avec des mets, sans parler des différents problèmes techniques que nous pouvons rencontrer”.

 

Et dans le reste du monde ? 

Certains pays, comme l’Afrique du Sud, ont considéré la consommation d’alcool comme potentiel danger en période de confinement et d'isolation sociale. Ils ont ainsi pris la lourde décision d’interdire totalement la vente d’alcool et de tabac pendant la durée du confinement, mettant un frein total aux ventes de vins & spiritueux.

Dans d'autres pays au contraire, l'achat et la consommation de vins dans le monde a augmenté durant le confinement. À titre d'exemple, aux USA, selon un sondage Nielsen, les ventes de vin ont augmenté de 29,4%. Même constat en Grande-Bretagne ou encore en Australie, où les ventes semblent avoir bondi.


En somme, la crise engendrée par le Covid-19 déstabilise énormément le secteur viticole. Et c'est sans parler des acteurs annexes tels que les fournisseurs de matières sèches ou les agences d’interims spécialisées dans le recrutement des vendangeurs étrangers qui subissent de plein fouet le ralentissement de l’activité commerciale. Certains regrettent que l’État ne s’implique pas davantage dans son sauvetage avec une aide de 150 millions d’euros, relativement faible comparé à d’autres secteurs comme l'aéronautique qui a bénéficié d’une subvention de 15 milliards d’euros. Cependant, le recentrage de la consommation vers du vin produit localement et la vendange 2020 qui s’annonce excellente remonte le moral des professionnels du secteur. Chez Cuvée Privée, nous avons qu’un seul conseil à vous donner : dégustez, dégustez et encore dégustez... français !